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1904 - 1990
Canadien
Femme en hiver
huile sur toile, circa 1973
signé et au verso signé et titré
40 x 36 1/4 po, 101.6 x 92.1 cm
Estimation : 100 000 $ - 150 000 $ CAD
Vendu pour : 325 250 $
Exposition à :
PROVENANCE
Guy Robert, Montréal
Sigismund de Szalmassy et Lorette Provost, Québec
Collection privée, Québec
« L’hiver, je peins la neige, presqu’exclusivement la neige. Au printemps, tout commence à verdir aussi, sur ma toile. Tout dans mes tableaux se rattache à une certaine mémoire. »[1] Ainsi se confiait Jean Paul Lemieux à son biographe et ami Guy Robert, aussi écrivain et critique d’art, qui publiera, en 1968, puis en 1975, deux ouvrages fondateurs sur l’artiste, abondamment illustrés. En faisant allusion à « une certaine mémoire », Lemieux laisse entendre qu’il a abandonné la peinture sur le motif et les séances devant modèles vivants comme il les avait pratiquées, il y a longtemps. Désormais, l’artiste ne quitte plus l’espace réduit de son atelier, profitant de la lumière du matin pour capter sur ses toiles blanches, fixées au mur, le flux d’images qui l’habite intérieurement. Une petite société animée d’hommes, de femmes et d’enfants prendra ainsi forme au fil des ans. Lemieux leur attribue des traits, des postures et des parures qui les ancrent dans le passé et dans le présent. Maintes fois les figure-t-il devant un paysage, leur regard posé tout droit sur le spectateur. Les autres plans de la composition s’enfoncent dans l’espace, comme les souvenirs s’enfoncent dans la mémoire.
Les modèles mnémoniques sont souvent des acteurs ou des décors liés aux compositions antérieures de l’artiste. Aussi, Femme en hiver nous semble-t-elle familière. N’a-t-on pas le sentiment d’avoir déjà vu des motifs similaires dans l’œuvre de Lemieux? Ce plan blanc de neige, cette forêt dense et sombre coupée par l’allée principale menant à la maison éclairée au loin? Ce ciel dans l’obscurité de la brunante, chargé de nuages que percent avec difficulté les astres de la nuit? D’une part, nous reviennent en mémoire les grands axes convergents de l’organisation spatiale que l’artiste utilisa dans Les Noces de juin (1972, collection Société Radio-Canada, Montréal) et Le Manoir (1973, collection particulière, vente de la Maison Heffel à l’automne 2019). D’autre part, Femme en hiver s’inscrit dans la création des célèbres nocturnes Orion (1967, collection particulière), et La nuit des rois de 1973 (collection particulière, vente de la Maison Heffel à l’automne 2022), une thématique dont ne se lassera jamais le peintre. Quant à la figure qui nous observe, malgré l’originalité de son visage, de sa coiffure et de ses vêtements, elle appartient à un ensemble de personnages que décline Lemieux sur ses toiles depuis la fin des années 1950 : elle pose de face, à l’avant-plan de la scène paysagère, en implorant notre attention d’un regard expressif. Est-ce une invitation à l’accompagner dans son monde à elle, le temps d’une promenade jusqu’au bout de l’allée, à l’horizon de l’hiver? On remarquera son beau visage aux lèvres rouges et pulpeuses : s’en dégage une ardente sensualité qui s’infiltre délicatement dans le paysage de froidure avec des tonalités de rose et d’ocre.
Jean Paul Lemieux est captivé par les notions de temps et d’espace. Ses mises en scène de personnages fictifs s’en ressentent et génèrent chez le spectateur une réflexion sensible. Le premier collectionneur de Femme en hiver, Guy Robert, employa fort justement la formule de « poétique de la souvenance » pour qualifier cette démarche picturale distinctive qui opère des allers et retours dans les diverses époques de la vie de l’homme et de l’artiste. Deux décennies plus tard, l’historienne de l’art Marie Carani[2] parlera de « l’effet Lemieux » pour marquer l’aptitude de l’artiste à rejoindre un large public avec des propositions visuelles universelles, humanistes et intemporelles, inspirées par la nordicité du pays, et par la force et la fragilité de son peuple.
Nous datons ce tableau « vers 1973 », ce qui correspond au moment où Robert est en contact étroit avec le peintre pour réaliser le film documentaire Tel qu’en Lemieux, produit par l’Office national du film (1973). L’écrivain prolifique est aussi à préparer son second ouvrage intitulé Lemieux qui sera publié en 1975. À notre connaissance, Femme en hiver conservée dans deux autres collections particulières jusqu’à aujourd’hui, n’a pas fait l’objet d’exposition publique ou de reproduction. Réalisée à la veille de l’exposition monographique qui circulera en Russie et en Europe (1974-1975), Femme en hiver est contemporaine de la grande notoriété qu’atteint Lemieux auprès des institutions et des autorités du milieu de l’art canadien.
Nous remercions Michèle Grandbois, auteure de Jean Paul Lemieux au Musée du Québec, d'avoir contribué à l'essai ci-dessus. Cette œuvre sera incluse dans le prochain catalogue raisonné de l'artiste actuellement en préparation par Michèle Grandbois.
1. Guy Robert, Jean Paul Lemieux ou la poétique de la souvenance, Québec, Éditions Garneau, p. 125.
2. Marie Carani, Jean Paul Lemieux, Québec, Musée du Québec et Les publications du Québec, 1992, chapitre VII, p. 235-263.
Estimation : 100 000 $ - 150 000 $ CAD
Tous les prix affichés sont en dollars canadiens
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